Avec son piège aux téléphones "cryptés", le FBI réussit un énorme coup de filet mondial contre le crime organisé

VIDÉO. L'opération "Ironside" a été déclenchée par les polices de plusieurs pays (Australie, États-Unis, Nouvelle-Zélande et Europe). Pendant trois ans, des policiers triés sur le volet ont écouté en direct des millions de communications cryptées captées au sein de 300 syndicats criminels opérant dans plus de de 100 pays. C'est l'opération "la plus sophistiquée au monde jamais menée contre le crime organisé par les forces de l'ordre à ce jour", selon la police néo-zélandaise. Des centaines de personnes ont été arrêtées à travers le monde, des millions de dollars d'argent sale saisis.
Selon le chef de la police australienne Reece Kershaw, les criminels se sont passé les menottes les uns aux autres en adoptant et en faisant confiance à (cette messagerie cryptée) ANoM et en communiquant ouvertement avec, sans savoir que nous les écoutions tout le temps.
Selon le chef de la police australienne Reece Kershaw, les criminels "se sont passé les menottes les uns aux autres en adoptant et en faisant confiance à (cette messagerie cryptée) ANoM et en communiquant ouvertement avec, sans savoir que nous les écoutions tout le temps". (Crédits : Australian Federal Police/Handout via Reuters)

C'est l'histoire d'un gigantesque coup de filet mondial contre le crime organisé à l'initiative de la police australienne qui a eu l'idée géniale de noyauter une appli de messagerie cryptée prisée des criminels et grâce au FBI qui a apporté ses moyens techniques pour la réaliser. Résultat: ce mardi matin, la police fédérale australienne (AFP pour Australian Federal Police) annonce l'arrestation, synchrone à travers le monde, de plusieurs centaines de personnes suspectées d'activités criminelles.

Cette opération a été déclenchée par les polices de plusieurs pays: l'Australian Federal Police (AFP) en Australie (qui a mobilisé pas moins de 4.000 agents), le Federal Bureau of Investigation (FBI) et la Drug Enforcement Administration (DEA) aux États-Unis, la police de Nouvelle-Zélande; en Europe, la police nationale néerlandaise (Politie) et l'autorité de police suédoise (Polisen) étaient de la partie. L'agence européenne de police criminelle Europol précise, dans son communiqué du jour, qu'elle a également participé à l'opération en soutien des autorités précédemment citées et aux côtés de 16 autres pays.

L'opération, dirigée par FBI et qui s'est déroulée simultanément dans son étape finale en Australie et dans 17 autres pays, a vu se réaliser plus de 700 perquisitions, a permis l'arrestation de plus de 800 personnes à travers le monde. Au total, ont été saisis 8 tonnes de cocaïne, 22 tonnes de cannabis et de résine de cannabis, 2 tonnes de drogues synthétiques (amphétamine et méthamphétamine), 6 tonnes de précurseurs de drogues synthétiques, 250 armes à feu, 55 véhicules de luxe et plus de 48 millions de dollars dans diverses devises et crypto-monnaies mondiales. Et d'autres actions auront lieu dans les semaines à venir, prévient Europol.

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Ironside, AFP, FBI

[Photo d'une des 244 arrestations de la police australienne réalisées sur le territoire australien le 8 juin 2021. Crédit: Australian Federal Police/Handout via Reuters]

La police néo-zélandaise a pour sa part décrit l'opération comme "la plus sophistiquée au monde contre le crime organisé qui ait été menée par les forces de l'ordre à ce jour". L'opération a reçu pour nom de code "Ironside" en Australie et "Trojan Shield" dans l'ensemble du monde.

Ce nom de code retenu par l'Australie, "Ironside", mériterait bien de faire référence à la plus gigantesque ruse militaire mondiale connue à ce jour, l'opération Bodyguard (dont elle faisait partie), cet incroyable stratagème militaire conçu par les Alliés en 1943, pendant la Seconde Guerre mondiale pour tromper au moyen d'agents doubles les armées nazies et masquer leur double projet d'invasion par le nord (Cf. le débarquement en Normandie de juin 1944) et par le sud.

"ANoM" l'application qui a permis de piéger les malfaiteurs

Pendant trois ans, grâce à leur infiltration des réseaux criminels, des policiers triés sur le volet ont écouté en direct quelque 27 millions de conversations cryptées entre malfaiteurs ayant trait à leurs activités ou à leurs projets d'activités criminelles en tout genre. Il aura fallu 18 mois aux policiers du FBI et des 16 autres pays engagés dans l'opération pour les décrypter et les exploiter.

La police australienne dans son communiqué que cette interception massive de messages a été rendue possible grâce à une application baptisée "ANoM", dont se servaient des malfaiteurs du monde entier pour communiquer de façon cryptée, mais qui était en fait contrôlée par le FBI, la police fédérale américaine.

Ces messages concernaient notamment des projets d'assassinat et des trafics de drogue et d'armes, a précisé la police australienne qui a arrêté 224 personnes dans toute l'Australie. Mais "des centaines de personnes ont été arrêtées" hors d'Australie, a-t-on ajouté de même source. La police néo-zélandaise a pour sa part annoncé l'arrestation de 35 personnes notamment pour trafic de drogue et blanchiment d'argent.

Europol explique que la police australienne a secrètement racheté une société d'appareils cryptés appelée ANoM, qui a fabriqué plus de 12.000 téléphones mobiles cryptés qui ont été distribué d'une façon ou d'une autre à plus de 300 syndicats criminels opérant dans plus de de 100 pays, y compris le crime organisé italien, les gangs de motards hors-la-loi et les organisations internationales de trafic de drogue.

La porte dérobée

L'application "ANoM" était installée sur des téléphones mobiles qui s'échangeaient au marché noir, gage de crédibilité aussi. Les appareils chargés de l'AN0M étaient probablement des smartphones fonctionnant sous Android, mais avec des fonctionnalités réduites. Ils ne pouvaient faire que trois choses : envoyer et recevoir des messages, passer des appels vocaux déformés et enregistrer des vidéos, toutes étant supposées être cryptées par l'utilisateur.

Dans ce logiciel de cryptage AN0M était caché un cheval de Troie, ou autrement dit une "porte dérobée" qui permettait aux autorités de décrypter très rapidement les messages encodés. Sans cette porte dérobée, le décodage des messages cryptés aurait nécessité des ressources informatiques colossales.

À ce propos, alors que la NSA ne cesse d'accuser le chiffrement des smartphones d'avoir empêché la détection des attentats de Paris, on se souvient que, en février 2016, la firme Apple avait refusé de fabriquer un logiciel de déchiffrement pour que le FBI puisse accéder au contenu des conversations d'un terroriste.

| Lire aussi : Chiffrement : pourquoi Apple résiste au FBI et à la NSA

Du parrainage pour augmenter la crédibilité du piège

Pour consolider la crédibilité du système, les concepteurs ont veillé à ce qu'un téléphone de ce type ne puisse communiquer qu'avec un autre téléphone contenant l'application. "Un criminel devait connaître un autre criminel pour obtenir ce matériel", a expliqué la police australienne dans un communiqué.

"Les appareils ont circulé et leur popularité a grandi parmi les criminels, qui avaient confiance dans la légitimité de l'application car de grandes figures du crime organisé se portaient garants de son intégrité", a-t-elle poursuivi.

TV9News explique que les gangs ont commencé à croire que le système était sécurisé parce que les téléphones avaient été dépourvus de fonctions vocales et de caméra et que l'application était cryptée. Et les malfaiteurs se sentaient tellement en confiance, qu'ils ont commencé à échanger librement leurs projets et même à s'échanger des images, tout un matériel qui sera utilisé dans de prochaines actions judiciaires.

Trouver et manipuler des "influenceurs"

Point essentiel dans leur stratégie, les policiers ont fait en sorte de convaincre à leur insu certains criminels de la fiabilité de cette méthode de communication afin qu'ils s'en fassent les ambassadeurs. "Ces influenceurs criminels ont mis la police fédérale australienne dans la poche revolver de centaines de délinquants présumés", s'est félicité le chef de la police australienne Reece Kershaw dans le communiqué.

"Essentiellement, ils se sont passé les menottes les uns aux autres en adoptant et en faisant confiance à ANoM et en communiquant ouvertement avec, sans savoir que nous les écoutions tout le temps", a-t-il ajouté.

Patience et endurance

Le décryptage n'était donc pas la partie la plus ardue de cette opération. En revanche, une difficulté majeure pour la police était de faire correspondre les conversations entendues avec les identités des malfaiteurs car le téléphone AN0M pouvait être acheté de manière anonyme et payé en bitcoins (qui permet des transactions sécurisées qui ne peuvent pas être tracées). Cela peut sans doute aider aussi à comprendre pourquoi il a fallu trois ans avant que la police n'identifie clairement les malfaiteurs présumés.

Lire aussi 5 mnLes cryptomonnaies: l'argent des criminels?

Ironside, AFP, Scott Morrison, Reece Kershaw

[Le Premier ministre Scott Morrison (pupitre de g., premier plan) s'adresse aux médias lors d'une conférence de presse à Sydney, ce 8 juin 2021, pour informer le pays sur le résultat de l'opération Ironside. À sa gauche (pupitre de droite) l'accompagne le commissaire de l'AFP Reece Kershaw ainsi que le ministre de l'Intérieur Karen Andrews (tout à droite). Crédit: AAP/Dean Lewins).]

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VIDÉO

Conférence de presse donnée par Europol (50 min, diffusée en direct à 10h ce mardi 8 juin 2021), pour annoncer le résultat de "l'opération la plus sophistiquée à ce jour de lutte contre les activités de criminels opérant aux quatre coins du monde".

Liste des participants :

  • Europol : Jean-Philippe Lecouffe, directeur adjoint des opérations
  • Federal Bureau of Investigation (FBI) des États-Unis : Calvin Shivers, directeur adjoint de la division des enquêtes criminelles
  • Police nationale néerlandaise (Politie) : Jannine van der Berg, Commission en chef de l'Unité de la police nationale
  • Autorité de police suédoise (Polisen) : Linda Staaf, chef du renseignement
  • Police fédérale australienne (AFP): Commandant Jennifer Hurst, Manager Europe, Afrique et Moyen-Orient

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(avec AFP - pour Agence France Presse-, Europol, TV9News)

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Commentaires 8
à écrit le 10/06/2021 à 23:53
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Des téléphones piégés ou des backdoors sur iOS? Bien entendu nous ne connaîtrons pas la marque des téléphones au risque de révéler la main mise des services de renseignement américain sur les entreprises technologiques US au même titre que la Chin...

à écrit le 09/06/2021 à 1:19
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Je comprends même pas que cela n'a pas été fait avant ? Une idée révolutionnaire en 2021 "à l'initiative de la police australienne qui a eu l'idée géniale de noyauter une appli de messagerie cryptée prisée des criminels " Je comprends toujours pas...

à écrit le 08/06/2021 à 18:18
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COup de filet genial, comme contre es hackeurs et les fanas du darkweb. destruction du darkweb ( armes et drogues, symbole nazis).

à écrit le 08/06/2021 à 17:26
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L'A.F.P. devrait maintenant savoir que l'Europe n'est pas, et ne sera jamais un pays: "L'opération "Ironside" a été déclenchée par les polices de plusieurs pays (Australie, États-Unis, Nouvelle-Zélande et Europe)." devrait être: "L'opératio...

à écrit le 08/06/2021 à 17:23
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Et on a appris aujourd'hui qu'il restait des capétiens en France.

le 08/06/2021 à 18:32
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Des capétiens hardis et téméraires !! C'est la première bonne nouvelle depuis quatre ans. Tout ce que sa maman Brizitte aurait dû faire et n'a jamais fait 😁

à écrit le 08/06/2021 à 15:48
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Preuve que quand on veut, on peut. Et que la hausse exponentielle de la cybercriminalité ces dernières années n'était que le résultat d'une certaine "neutralite/bienveillance" des politiques, des gafam et de l'écosystème cloud, qui avaient besoin d'...

à écrit le 08/06/2021 à 13:45
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cela rappelle le hacking de EncroChat par la Gendarmerie Nationale l'année dernière.

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